Interview Thibaut Pinot

Extrait d’une interview publiée dans « L’Equipe » (du 19.04)

Le confinement pèsera-t-il psychologiquement sur la suite ?
Personnellement, quand je vais sortir du confinement, j’aurai vraiment l’envie d’aller faire du vélo et de m’entraîner à fond. Je ne suis pas un grand fan du home-trainer ni du virtuel, je n’ai pas envie de m’user mentalement là-dessus, j’essaie de garder de la fraîcheur pour, à partir du 11 mai, pouvoir tout faire à 100 % pour être prêt. Je pense que certains vont sortir du confinement assez usés physiquement et mentalement, certains roulent autant sur home-trainer que sur route alors que ça n’a rien à voir.

Vous pouvez nous parler de votre situation ?
Il y a eu beaucoup de cas à Mélisey, on est à moins de trente kilomètres de l’Alsace, donc forcément on a été touchés. Mes parents ont été touchés les deux en même temps, ils sont toujours malades plus de vingt jours après avoir contracté le virus, donc le virus est dur. J’ai deux voisins autour de la maison qui ont été touchés aussi, un quart du village sur 2000 habitants a été malade, donc quand tu fais tes courses, tu croises les doigts pour ne pas tomber malade parce qu’on est obligés d’y aller quand même. Je prends toutes les précautions possibles, mais sans tomber dans la psychose parce qu’il n’y a pas grand-chose à faire finalement. On n’a pas de masques, on ne va pas en inventer.

Comment avez-vous fait pour ne pas craquer psychologiquement ?
Ce n’était pas simple, mais heureusement que j’habite dans un endroit où je me sens vraiment bien, je m’occupais l’esprit. Le moment le plus dur de la journée, c’était quand j’étais sur le home-trainer. Déjà parce que je m’ennuie et puis je broyais du noir, je pensais à ce qui n’allait pas, donc le home-trainer, je n’avais qu’une envie, c’était que ce soit fini et ensuite, j’allais m’occuper de ma ferme et ça faisait du bien. J’ai pu passer beaucoup de temps dehors. J’ai éteint la télé parce qu’on avait encore plus des idées noires après l’avoir regardée.

Donc le home-trainer, c’était la torture, parce que vous étiez obligés de le faire, et cela vous ramenait à des pensées négatives…
C’est ça. De toute façon, le home-trainer, ça n’a jamais été mon kif. Grâce à lui, je suis passé pro à 19 ans, parce que quand j’étais au lycée et que je passais mon bac, je n’avais pas d’horaires aménagés, donc j’étais obligé d’en faire le matin à 6h30 et le soir à 18h, tous les jours, et je me disais qu’une fois que je passerais pro, je ne ferais plus jamais de home-trainer. Donc là… Je monte machinalement dessus et voilà.

Vous m’aviez dit qu’il y a des jours où vous montiez dessus cinq minutes puis vous redescendiez.
Oui, c’est arrivé quelques fois et je préférais me changer les idées plutôt que de penser aux proches malades, à l’ambiance morose…

Comment vous organisez-vous pour l’entraînement en ce moment ? Votre frère vous prépare-t-il des sessions ?
Ah non pas du tout (il rit), c’est complètement libre. Je monte sur mon vélo et je fais en fonction de ma motivation, de ce que je trouve sur ma tablette… Mais en aucun cas je ne me prends la tête avec un programme d’entraînement, d’intensité ou de quoi que ce soit. Je laisse passer jusqu’au 11 mai, je fais un peu plus de gainage et de musculation que d’habitude.

« Je sais que les apéros d’après-Tour en juillet et août, on ne les aura pas, donc autant les faire maintenant »

Et en termes de nutrition ?
J’essaie de faire gaffe, mais on va dire que je me lâche un peu plus que d’habitude parce qu’on a le temps. Et je sais que les apéros d’après-Tour des mois de juillet et août, on ne les aura pas, donc autant les faire maintenant (il rit). On est en semi-coupure, ça ne sert à rien de se serrer la vis jusqu’à fin août, c’est très long et il faudra surtout ne pas péter un câble avant. Évidemment, il ne faut pas faire n’importe quoi, mais je sais me contrôler et m’arrêter quand il faut. J’essaie de vivre normalement et de ne pas prendre de poids.

Vous en avez pris depuis le début du confinement ?
Forcément, quand on passe de cinq heures de vélo presque tous les jours à une heure et demie de home-trainer, on prend le ou les kilos qui viennent tout seuls. Donc oui, j’ai pris deux kilos.

Dans quel état pensez-vous être au moment de la fin du confinement, après deux mois de coupure ?
C’est une situation inédite. On est un sport d’endurance, donc notre entraînement, c’est des heures et des heures sur la selle. C’est pour ça que quand la Ligue a demandé une dérogation pour qu’on puisse s’entraîner sur la route, ce n’était pas pour nous promener. Quand je prends le vélo le matin pour préparer une course, je me fais mal. Le 11 mai, beaucoup de coureurs auront le couteau entre les dents, à vouloir faire des entraînements encore plus poussés que d’habitude. Il y aura d’ailleurs un risque de surentraînement, parce que certains vont vouloir rattraper le temps perdu et vont se cramer. Il faudra faire attention.

Pouvez-nous nous raconter votre journée type en ce moment ?
Quand on se lève (avec sa copine), on va donner le biberon aux deux petites chèvres, Kim et Quentine. On les nourrit trois fois par jour. Ensuite, home-trainer et gainage le matin. Et après-midi, c’est atelier ferme, ça peut aller de faire une clôture, à peindre, tondre, débroussailler… Je me suis rarement aussi peu ennuyé, il y a plein de boulot que je voulais faire depuis plusieurs années, donc j’en profite. Et la pêche, bien sûr, j’essaie d’y aller au moins une fois par semaine.

Cette situation vous fait prendre encore plus de recul par rapport à votre carrière ?
C’est sûr, surtout sur les réseaux sociaux, on lit tout et n’importe quoi. C’est la première fois que je les utilise si peu, parce que j’y vois des choses aberrantes, tout le monde a un avis sur tout, c’est pénible. Tout ça ne m’intéresse pas, vivement que la saison et le vélo reprennent. »